13/11/2011

AUBE, la saga de l'Europe, 229

QUELQUES NOUVEAUX EXTRAITS D'AUBE, LA SAGA DE L'EUROPE

PROCHAINE PARUTION DU LIVRE I EN E-BOOKLE 1/1/2012

 

Il avait reçu le message caché derrière l’impolitesse calculée. À cette revendication, exprimée d’un ton calme et froid, il opposa la même tranquille froideur, la même indifférence. Il fit comme s’il n’en avait rien entendu et poursuivait une autre conversation :
– Il faudra que je te prenne un glaive, un glaive ouvré par toi, en personne, j’y tiens.
– Suis-moi... Je suppose que pour ce qui est d’être payé, nous nous arrangerons à Kerdarya ?
– Je te donnerai assez de cuivre pour fabriquer trois lourds glaives si celui que tu me proposes est de la qualité de ceux que tu forges pour vos guerriers.
– Ils sont tous excellents. Tu n’en verras jamais de mauvais chez moi. Je les brise.
– ... Et choisis tes plus beaux pour les présenter aux rois du grand conseil... Avec ça, tu pourras revenir beaucoup plus riche que tu n’es parti. Ça ne te tente pas ?
– Ça tenterait n’importe qui. Ta proposition est bonne. Je te remercie de tes conseils et de tes suggestions. Je les accepte avec gratitude… Voici ma forge, où je garde les meilleurs… Solides, mais tout simples, sans or qui orne leur poignée. Ça ne te gêne pas, ou faut-il, pour avoir ta pratique et la leur, les guillocher de métal précieux ?
– Inutile, nous voulons des glaives tranchants, pas des bijoux. C’est décoratif, mais moins que le triomphe qu’apporte une bonne lame.
– Alors, j’ai ce qu’il te faut, et tout de suite. Entre !
– J’arrive !
– Pendant que j’y pense, si tu n’as pas vu Kleworegs, Nous partons après-demain, à l’aube.

– Lève-toi ! Je pars.
Il se leva. Sa jambe avait cessé de lui élancer, sa blessure au flanc était oubliée. La souffrance était partie. La perspective d’avoir retrouvé le fil, un instant brisé, de la piste de son ennemi, l’avait revigoré. Il parvint près du char du voyageur. L’homme l’invita à y monter. Il y parviendrait tout seul. Ce serait un signe que les dieux approuvaient son projet et l’invitaient à l’accomplir sans perdre un instant. L’aide de son compagnon fut si discrète qu’il ne la vit pas.
Ils se mirent en route. Le visiteur était une mine d’anecdotes, qu’il eût trouvées passionnantes, et de plaisanteries, qui l’auraient fait éclater de rire s’il n’avait eu la tête ailleurs. La seule histoire qui l’eût intéressé eût été celle, même racontée par un bègue postillonnant et cherchant ses mots, qui lui aurait appris où trouver Kleworegs. Il l'écoutait malgré tout. Que faire d’autre en attendant d’arriver, le lendemain dans la soirée ? Il n’aurait ensuite qu’une journée de marche pour trouver le village où quelqu’un savait comment aller au clan du Cheval ailé. Il lui en indiquerait la route.
Après, tout dépendrait de lui. Il encouragea le cheval de la voix.
... Il ne lui faudrait plus longtemps pour se trouver face à sa cible.

 
Après la journée consacrée au choix de l'escorte, la veille du départ se passa en préparatifs pour s’assurer le meilleur voyage. On sélectionna les plus beaux et les plus solides chevaux, les chars les plus neufs et les mieux ornés. On prépara un ultime et gigantesque banquet en l’honneur du bijou sacré. Ils interrogèrent le messager sur le meilleur chemin et les haltes. À part Gwowomakwelya, la rivière des bœufs, marché à bestiaux de grand renom, et Walkwis, la place du loup, fameux rendez-vous de chasseurs et grande foire à fourrures, ce n'étaient que minuscules villages indignes de les recevoir. Leur passage y serait un événement tel qu’il ne s’en produit qu’un toutes les trois ou quatre générations.
Le banquet fut copieux, mais bref. Ceux qui partaient se couchèrent tôt. Ils se réveilleraient à ciel rose pour avoir le temps de faire leurs adieux. Kleworegs, le bhlaghmen et Pewortor ne furent pas les derniers à en profiter. Ils saoulèrent de recommandations leurs remplaçants et celles qui allaient prendre soin de leurs enfants pendant leur absence. Après qu'ils furent couchés, ils restèrent à les regarder. S’ils survivaient aux mille dangers et maladies qui les guettaient, ils leur feraient honneur et continueraient leur lignée glorieuse. Pour l’instant, ils se portaient bien, comme leurs mères, et dormaient d’un sommeil paisible et rassurant. Aucun des récents nouveau-nés n’avait péri. Ils en remercièrent les dieux.
Les enfants des trois héros du cortège étaient superbes. Peworis, le fils du forgeron, toujours plus énorme, passait déjà pour un petit ogre. Il épuisait le lait de sa mère et de sa nourrice, et, criant à en réveiller les morts, réclamait encore après une telle ventrée. Les armuriers se réjouissaient de ces hurlements témoins de son inextinguible appétit. Le Peworis de la légende avait, lui aussi, tari la poitrine de ses nourrices, deux géantes, pourtant. Cette fringale féroce signait sa haute origine et sa future haute destinée. S’il mangeait comme deux, c’était qu’il avait en lui, à côté de l’âme d’un forgeron, celle d’un guerrier avide de grandir très vite pour arriver au plus tôt à l’âge de combattre. Tous ces signes faisaient de lui, à sa manière, le wunderkind du wiks. Son père était aussi heureux de sa belle vigueur que des sentiments que le reste du village éprouvait à son égard.

 

 

18/02/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, II-32


Le premier augure le sentait. Qu'y pouvait-il ? Les dieux ne s'appellent pas comme des serviteurs. C'est eux qui se présentent. Il faut être sans cesse à leur affût. Il aurait voulu l'expliquer aux hommes trop impatients, mais allez leur exposer des faits si décevants et démobilisateurs quand ils se morfondent devant l'âtre et rêvassent que, sans vous, ils se battraient et accumuleraient des richesses ! Vint un jour où un guerrier ivre l'insulta. Il était pieux, pourtant, et pas chiche en beau bétail pour les sacrifices. Le temps était venu de forcer les dieux à parler. Il le paierait cher. Qu'importait ! Il était vieux et son successeur se montrerait digne de son rang.
Il alla le prévenir de son intention. Il le supplia de n'en rien faire. Il n'était pas encore de taille à lui succéder. Il tremblait en pensant au jour où il devrait donner des conseils capables de modifier l'avenir. Le vieil augure le moqua. Ainsi, celui qui avait su indiquer le prochain but de conquête des siens, celui sans qui l'imposture n'aurait pu être dévoilée, craignait d'être un mauvais prophète ! Il en aurait ri, s'il n'avait été convaincu de la solennité des prochaines heures, où il tenterait d'obliger les dieux à parler. Reggnotis voulut encore l'en dissuader. Ils pouvaient prendre la parole ou envoyer une vision sans tarder, sans qu'il soit forcé de les sommer. Il n'en démordit pas. Il devait les appeler. Qu'il le laisse et attende la fin de la transe où il allait se mettre !
Il s'en fut, dans le soir glacial. Le ciel était couvert de nuages de neige. Bientôt, les premiers flocons churent et fondirent sur son front. Elle tomba vite si drue qu'on n'y voyait plus rien. Il fut heureux d'arriver chez lui. Son manteau de loup était devenu blanc, à croire que s'il était resté plus longtemps dehors, elle l'eût enseveli et en eût fait un de ces bonhommes blancs et glacés mourant au soleil comme aiment à en dresser les enfants.
Il s'installa devant le feu. Son maître, dans la pièce la plus glacée du sanctuaire des oracles, préparait la mixture, poison d'épreuve et éveilleur des sens, permettant de percevoir le monde divin. Trop faible il ne verrait rien, trop puissante il mourrait. Seules les dieux lui diraient les proportions exactes, qui donnent accès à leur monde et permettent d'en ressortir... pour peu de temps. Ceux qui y entrent les interroger y retournent vite, soit que l'au-delà leur ait paru si beau qu'ils veulent y revenir à tout prix, soit que les dieux les reprennent, morceau de chair après morceau de chair. Reggnotis serait bientôt grand augure. Pourvu que son maître réussisse son épreuve et y survive, le temps de lui révéler les secrets que doit connaître celui qui dicte les révélations divines ! Qu'il ne lui ait encore rien dit était preuve qu'il était sûr de lui. Il se rassura. Les mois à venir seraient studieux. Il ferma les yeux. Il ne cherchait plus à imaginer ce qu'il faisait. Il l'entendrait bientôt de sa bouche, entre mille autres indicibles secrets qui ne doivent être connus que d'un seul homme. Son détenteur ne les révèle à un disciple choisi que lorsqu'il voit s'ouvrir devant lui les portes des terres où festoient les dieux et leurs fidèles serviteurs.

17/02/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, II-31

– Ne croyez plus rien qui ne soit avancé par les hauts bhlaghmenes ou les oracles. Eux seuls, en ce qui regarde le Printemps Sacré, sont assez proches du divin pour parler vrai.
C'était une initiative du chasseur de maléfices. À voir les sourires de satisfaction des prêtres, elle était la bienvenue. Ils avaient, en un instant, recouvré une partie de leur pouvoir. Ils venaient de prouver, en un beau coup double, que les dieux ne les avaient jamais abandonnés et qu'un roi impie n'aurait jamais leur aval.
Tremblant de frayeur sacrée, les hauts rois virent le sacrilège et le mignon du premier d'entre eux, nus et recouverts d'une indélébile liqueur noire, chassés de Kerdarya. Que nul ne leur donne eau, nourriture, vêtement ou abri ! Ils étaient devenus animaux, non point loups qu'il faut tuer, mais qui méritent encore le respect, basse vermine dont le simple contact est souillure. Ils disparurent. Les bêtes des forêts à l'entour savent ce qu'ils devinrent.
Dans la foulée du terrible châtiment et de la mort du mauvais roi, on élut un nouveau regs regom. Il était, de tous les grands rois, le plus proche des souhaits des prêtres : Nul n'était plus prêt à leur obéir pour tout ce qui touchait au divin. Dommage qu'il ait une si haute idée de son rang. C'était, au vu de leurs projets, minime inconvénient. Il suivrait leurs directives pour le Printemps Sacré. Aucun risque qu'il soit détourné ou serve à l'élévation d'un de leurs ennemis.

Plusieurs lunes s'écoulèrent. Les signes et prodiges tant espérés ne se manifestaient pas. On murmurait contre les oracles. À quoi bon leur monopole des visions divines et de leur interprétation, s'ils ne voyaient rien ? Quelques porteurs de lin soudoyés et quelques guerriers, fidèles de l'ancien roi dont chacun avait oublié le nom, prétendirent avoir été touchés par l'aile du divin. Les puissances, à ce qu'ils disaient, étaient fâchées que les augures et les premiers servants des autels se soient arrogé le pouvoir de prophétiser, quand il avait de tous temps été accordé à chaque homme libre assez pieux. Ce n'était qu'un vague prurit, de l'énervement que les hauts prêtres affectaient de mépriser, laissant le nouveau roi le réprimer sans pitié. Il pouvait s'enfler, et tout emporter à nouveau. Ils commençaient, en cette saison froide où les hommes, réunis autour des foyers, parlent de tout et échangent des idées que l'oisiveté rend vite subversives, à le voir : L'absence de prophétie pour désigner le meneur du Printemps Sacré pesait. Il y avait eu trop d'espoirs fauchés par la chute des impies. Après un premier mouvement de colère envers eux, leurs dupes s'en prenaient, en termes voilés, à ceux qui leur avaient ôté leurs illusions. Et si bientôt, frustrées de leurs rêves de conquête, elles regrettaient l'ancien roi ?

15/02/2009

AUBE, la saga de l'Europe L II, p 029

Il ne s'inquiétait pas. Il accompagnerait le mignon du roi des rois et se tiendrait à ses côtés devant les pierres de sacrifice. Il ferait s'en élever la voix des dieux. Ce tour, un sacrilège de la part de guerriers ou de producteurs, lui apparaissait normal et licite venant de lui, porteur de lin. Il n'avait pas reçu un tel pouvoir sans raison. Il ne faisait que son devoir en tentant de devenir le regs-bhlaghmen, fonction vers quoi le poste auquel il s'était désigné n'était qu'un marchepied. Un jour, il referait parler les autels sacrés. Ils clameraient que lui seul était digne de sacrifier au nom de tout Aryana. Il n'était pas très fier de servir ce roi des rois pour accéder au plus haut rang, mais l'arrogant ne serait pas éternel... et le jeune homme qu'il favorisait était si beau.
La cohorte des usurpateurs se présenta devant les autels. Derrière les pierres sacrées trônaient les prêtres principaux. À part le prêtre roi et le haut prêtre de la fécondité, dardant vers lui un regard tout de férocité et de haine, et le grand Oracle avec son masque, il n'en reconnaissait aucun. Son cœur était si égal qu'il ne s'étonna même pas de la présence, au côté du regs-bhlaghmen, d'un répugnant vieux prêtre à la robe blanche couverte de fils rouges. Le premier orant parla :
– Je vais sacrifier d’un bélier sur l'autel du maître des serments. Il nous montrera, en acceptant ce sacrifice, s'il reconnaît pour sienne la parole qui t'a désigné pour mener le Printemps Sacré.
Le mignon, interpellé, leva la tête et fit un signe discret à son protecteur et au jeune prêtre. Ils guettaient de tels signes, preuve de leur connivence sacrilège. S'ils avaient, un instant, douté du bien-fondé de leurs contre-mesures, cela leur était, après ces clins d'œil, bien passé.
Le premier prêtre fit venir un bélier et l'immola sur l'autel. Il récita les routinières prières où il demandait à la divinité, en acceptant l'offrande, de bénir celui au nom de qui il la faisait. Jamais un autel n’avait déclaré qu'un sacrifice lui avait déplu. Aussi longtemps qu'ils ne diraient mot, ils consentiraient et accepteraient les prières des suppliants. Le sang coula sur l'autel, on démembra l'hostie, son corps fut distribué aux guerriers à dix pas. Les viscères consacrés furent mis à cuire, et quand ils furent carbonisés, le premier prêtre demanda au dieu s'il était satisfait. Une voix, sourdant de la pierre sacrée, s'éleva :

13/02/2009

AUBE, la Saga de l'Europe, II-27

Ils étaient peu, dans ce village, à douter de l'imposteur. Tous ou presque l'auraient suivi, s'il le leur avait demandé... avant la révélation de l'animal voix des dieux. Maintenant, tous, à commencer par ceux qui y croyaient avec le plus de fanatisme, l'auraient mis en pièces, lui et ses complices. Déjà ils parlaient de prévenir tous leurs voisins, et de leur rapporter l'avis divin. Le messager ne doutait plus. Lui et le prêtre partirent sitôt que, à ce qu'il sembla aux villageois, la chèvre eût fini de parler. Il y eut quelques-uns d'entre eux à établir un rapport entre leur présence et les paroles de l'animal. Ce ne fut pas dans le sens du scepticisme. La bête n'avait pu parler que par une faveur de ces voyageurs, dieux sous défroque humaine. Très vite se répandit la légende qu'ils étaient venus en personne se plaindre du sacrilège dont ils avaient été victimes. Les deux héros ne le surent que plus tard... Ils en crevèrent d'orgueil, dit-on.
Le messager jubilait. Les basses manœuvres des ennemis des prêtres et de leurs complices échoueraient. Son avenir s'annonçait radieux.
Ils arrivèrent à Kerdarya. Le prêtre fut mené sans délai au temple de Dyeus Pater, saisi aux épaules et embrassé par le premier des bhlaghmenes comme un égal. Il lui demanda sans tarder une démonstration. L'autel du dieu du jour parla : l'usurpation serait décapitée et arrachée. Même prévenu, il fut tout surpris. Il regarda derrière. Non, personne ! Il revint vers le magicien, soulagé comme les malheureux à qui on a arraché la dent qui leur élançait. Sa vengeance, et leur triomphe, ne tarderaient plus.
L'arrivant pouvait bien être leur futur sauveur, il puait trop. Il lui dit d'aller se laver et de revêtir sa robe de chasseur de maléfices. Deux pas du soleil après, tout luisant de propreté à en paraître écorché, la barbe et les cheveux bien peignés (Il avait pourtant utilisé pour les lisser, négligeant le peigne d'os qu'on lui avait offert, une simple branche épineuse.), il s'était présenté devant le conseil des prêtres rameuté à la hâte. Il avait, dans sa robe parsemée de fils rouges, une allure décidée et conquérante. Les participants à la réunion, qui se souvenaient de sa description peu flatteuse, hésitèrent à le reconnaître. Il avait à l'appui de ses prétentions le témoignage du messager. Il pouvait certifier ses pouvoirs et les réactions quand il les avait manifestés. L'assemblée écoutait. Il eut tout le loisir de s'expliquer. Le premier prêtre jugea une démonstration plus éloquente que tout discours. Il lui en demanda une. Démangé depuis le début par l'envie de briller devant tous ces prêtres dont il avait longtemps oublié, dans son exil, qu'il était l'égal, il s’exécuta. Il fit dialoguer les autels entre qui il se trouvait. Même si leurs deux voix se ressemblaient, il aurait fallu ne pas être émerveillé par sa prouesse, qui retenait toute l'attention, pour le remarquer. Seul le messager le nota. Il lui en parlerait. Il saurait y remédier.